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Rock & Folk

August 1982
COEUR DE GLACE
Written By: PHILIPPE MANŒUVRE
Illustrations By: JEAN MAERO
On n´échappe pas à son destin. Ses rêves de diva envolés, Debbie, un peu moins chic, un peu plus choc, revient à ses premières amours. Ce sont aussi les nôtres.
« Manœuvre ? Manœuvre ? C’est toi, Manœuvre ? »
Hein ? Quoi ? Ouais ? Huh ?
Oh non ! Pas ce vieux coup ridicule et usagé du rédacteur en chef réveillant Roulesabille pour l´expédier sur une fumante interview de Blondie…
Je change la cassette.
Le silence à nouveau. Juste moi planant dans le cosmos cryogénétique. Et le froid rassurant de l´éther liquide qui baigne mes vieux os dans l´attente de la résurrection des morts. Soudain, Dieu est là, qui cogne au couvercle de mon cercueil imputrescible en fibron nacré. Ponk ! Ponk !
« Manœuvre est là-dedans ? Réveillez-le et expédiez-le tout de suite inspecter ce foutu ordinateur qui prétend avoir boulotté la fiche du Cyborg Blondie ! »
Oh non, pas le film de George Lucas !
Je change la cassette.
Une petite prison dans le désert du Nouveau Mexique.
Un vieux cow-boy encore jeune sort, tout voûté et étriqué par les privations dans son vieux costume de tueur en cuir noir. Il vérifie le poids du colt dans le holster, regarde la porte du pénitentier claquer et se retourne. Soleil dans ses yeux de fauve. Il se protége les yeux. Apparaît le rédac chef sur un cheval, entouré de sas adjoints. « Salut, Kid. On t’attendait, tu vois. Debbie joue au saloon ce soir et on a pensé que t´aimerais aller lui causer du pays… »
Je change la cassette.
Un drive-in Soixante écrasé par la nuit (américaine). Une grosse voiture se gare sous l´écran perlé où Elvis s´ébat dans les bras tentaculaires d´Ursula Andress. Le conducteur souffle dans sa paille et fait bouillonner son coca cola. Sa voisine gémit d´aise : « Gee ! Phil, quelle bonne idée d´être venu voir « L´Idole d´Acapulco » ! » Elle sourit, s´étire, regarde autour d´elle et pousse une exclamation de surprise : « Hey ! Regarde qui sort avec Chris ! C´est pas Debbie ? » Phil crache un juron et met le moteur de sa Chevrolet en marche.
« On se tire ! »
Blondie ! Debbie ! Harry !
Elle est partout.
Elle est de retour.
TRAIN
Inutile de tourner autour du « Billboard » ou de tergiverser plus longtemps. La nouvelle est sur toutes let lèvres avides depuis fin mai. Deborah remet ca. Et pourquoi voudriez-vous décemment qu on confie le scoop à quelqu´un d´autre ? Je suis le plus qualifié sur ce coup. Sans me vanter. Je la suis depuis 1976. Ce que je ne sais pas sur Blondie, on pourrait le taper à la machine sur le dos d´un timbre poste. Les autres ne sont pas si calés sur la question. Bien sûr. C´est les michés habituels qui cherchent quelque chose de chouette à s´envoyer plein les tympans, mais à qui dix à cinquante ans d´étude approfondie du phénomène ne feraient pas de mal.
Il y a tous les genres de souris dans le rock. Et confondre le cas Blondie avec les tapineuses genre Benatar ou Sheila relève de la trop grosse artillerie, juste bonne pour reprendre les Malouines à des sousdéveloppés qui n´ont même pas une équipe de foot digne de ce nom. (NDLR : Tu en es bien sûr ?) Nous non plus, mais on a la Foi. Le Feu Sacré. La Blondie, c´est bien simple, on l´aime comme une fille de chez nous émigrée au pays des gratte-ciel. Je l´ai repérée en 1976, quand son premier album est sorti sur Private Stock Records. Bien avant que Chrysalis ne la signe. C´est dire. Et je l´ai même écrit dans un numéro du magazine que vous lisez en ce moment : « Elle va aller loin, cette Marilyn du rock. »
J´aurais dû déposer le slogan et faire casquer la confrérie internationale chaque fois qu´un plumitif me le repiquait. En ce moment, je serais en train de me la couler tropicale à Miami Beach au lieu de taper ces âneries dans ma cuisine.
Pas que l´intéressée ait manqué de reconnaissance, remarquez ! Dès sa première venue en France, je me suis retrouvé convié à un de ces dîners dont nos maisons de disques chéries ont le secret. Ça s´est fait chez Bofinger, oui, à la Bastille. Debbie a opté pour une soupe de tortue, indiquant par là même son furieux goût pour l´exotisme et laissant la porte ouverte aux musiques des îles (genre ce « Island Of Lost Souls » calypso sur son dernier album). Une autre chose dont je me souviens, c´est que nous avons baratiné en tête à tête deux heures durant, je m´en souviens d´ailleurs moins à cause de la conversation qu´à cause de la tronche haineuse que tiraient ses musiciens à elle en bas bout de table.
Pour ces quatre New Yorkais, l´enfer ne faisait que commencer.
Qui a envie d´écouter le batteur de Blondie pérorer de tours d´horloge durant sur le jour où Chris Stein a remixé « In The Flesh » avec lui ? Debbie s´est envolée vitement. Elle ne faisait que la première partie de Television, mais elle allait exploser en Angleterre et rendre banane une génération de jeunes punks, sciant irrémédiablement la route du succès à ces Runaways d´où émergerait cinq ans plus tard un petit Phénix aux cheveux de corbeau : Joan Jett. En attendant et en 1977, je n´étais pas vraiment fou du second LP, « Plastic Letters ». La pochette sabotée (oui, ils avaient volé une voiture de flics pour la réaliser, et après ? Tout le monde a fait ça…). Mais surtout, on la sentait essayer toutes les formules magiques du tube instantané. Qu´elle réussisse ( « Denis » ) ou se plante carrément (dans le superbe « Detroit 442 » ), Blondie venait de… redescendre la barre. Elle usinerait de la pure pop pour les acheteurs de l´époque. Et elle s´arrangerait pour que la cadence de production soit si accélérée que personne, jamais, n´aurait le temps de descendre du train pour essayer d´y comprendre quelque chose.
Vous avez essayé de ré-écouter « Denis » récemment, vous ?
GLAMOUR
Attention : je ne me médis pas. Debout sur les freins, les aminches. Je reconnais que c´ètait pas gentil de dire ça, mais si Blondie est quantité négligeable, moi je suis Platini dans un frigidaire. Trinquons làdessus.
Je serre la main du lecteur, gueule après le garçon, et il apporte le whisky et les verres. J´allume une cigarette et remue la tête, souriant comme si nous allions parler de choses et d´autres.
Mais c´est pas le cas. Pas du tout. Car un an plus tard, qu´est-ce qu´ils nous sortent, les bougres ? « Parallel Lines », tu l´as dit ! Et ça, c´était de l´album. Un disque pour l´usure, la vraie. Une brochette de ritournelles plus vicieuses, plus adorables les unes que les autres. Au moins quatre numéros un en deux faces. Et que du très smart ! Des chansons qui tenaient la route, comme cette reprise mémorable et judicieuse du « Hanging On The Telephone » de Jack Lee (mon Nerve favori. Un rigolo au profil jamesdeanien qui a sorti un album culotté et amèrement intitulé « Greatest Hits Vol. 1 » sur – bonjour Carpentras – la marque Maiden America Records). Mais ça, c´ètait en ouverture. Pour voir. Suivaient les joyaux, les rubis et les topazes. Le tout produit par Mike Chapman, le contremaître pop par excellence, le mentor des bons Suzy Quatro (période « Devil Gate Drive »). Chapman avait découvert une chose, infime : plus l´écrin scintille, plus la pierre brille. D´où cette application à faire enfin sonner avec éclat la grosse batterie Premier du gros Clem Burke. Où à faire rutiler les basses du petit nouveau (Nigel Harrison) en fait grand ancien (bassiste de Silverhead).
Blondie fit un malheur en Grande-Bretagne avant de revenir comme un boomerang dans son propre pays et de dépasser sans effort apparent les récompenses d´or, puis de platine. Devinant – après des mois de combat dans l´ombre – le moment du dernier sprint, Debbie et Chris Stein auditionnent de nouveaux managers (y compris Bill Graham) avant de fixer leur choix définitif sur l´homme qui préside aux destinées d´Alice Cooper et de Teddy Pendergrass, Shepp Gordon. Gordon entra en fonctions le 1 er août 1979, au cours d´une party mouvementée chez Fiorucci à Hollywood… Une fiesta bien dans la tradition glamour, où le groupe ricanait jaune : pour se débarrasser de son ancien manager, Peter Leeds, il avait dû lui verser une indemnité de cinq cent mille dollars…
DÉCHARNË
J´ai ensuite complétement perdu Blondie de vue. Ennuyé par son quatrième album « Eat To The Beat » que je trouvais surgelé et fabriqué au point qu´on se demandait si c´était Blondie ou une bande d´androïdes qui jouait sur « Atomic » et « Dreaming », je rangeai la bestiole dans la pile entre Blind Faith et Kurtis Blow avec une moue dégoûtée. Comme par hasard, l´Amérique se prit précisément de passion pour ce disque-là, qui doit être leur plus grosse vente à ce jour. Mais Chris et Debbie eux-mêmes devaient en avoir assez. En bons New-Yorkais pure souche, ils ne s´intéressaient plus qu´à la disco et à la musique noire qui redressait une tête exsangue… Derriére les plaisanteries des Bee Gees et des Village People, des choses aussi excitantes que les débuts misérables de Motown étaient en train d´éclore. « Pour voir », Deborah Harry enregistre un petit simple produit par le grand sorcier munichois, Giorgio Moroder. « Call Me » figure sur la bande d´« American Gigolo », sur un simple et sur l´album « The Best Of Blondie ». On ne peut que se perdre en conjectures fracassantes sur ce qu´aurait pu donner un album du même tonneau. Donna Summer ou les Sparks ?
Chrysalis, de toute façon, veillait au grain. Les kids veulent Blondie, le groupe, ils achètent sa pop mode, pas question de changer la pétoire d´épaule.
« Autoamerican » (1980) est un disque décharné. On sent le groupe excédé. Piétinant, bien obligé, la moquette du même studio. Mike Chapman, si habile à transformer un litre de yaourt nature en dessert redondant et truffé de surprises gustatives, baisse le bras. Et le quarante-cinq tours suppliant (« la marée monte/Je vais être numéro un ») en dit long sur la désillusion et l´étouffement des gens de Blondie.
Car Debbie et Chris ont toujours eu des tonnes de prétentions, heu, intellectuelles. Cela date-t-il de l´époque ou Miss Harry fréquentait chaque nuit les hôtes du Max’s Kansas City, s´affichant avec le gang « arty » du Lower East Side, la clique des super-stars warholiennes, s´enfonçant dans son petit crâne de fraîche émoulue du New Jersey la formule magique du vieil Andy : « Business is Art » ?
Debbie et Chris ont des marottes, des hobbies de vieux étudiants qui n´ont jamais eu les moyens d´aller en fac. Ils sont branchés sur le cinéma d´avant-garde (il en reste ?), la photographie, la science-fiction et la bande dessinée européenne (pas le comics du candy store du coin, attention). Debbie fait du rock parce qu´en 1968, tout le monde au Village pensait que c´était la pointe de l´avant-garde artistique. Le Max était la Mecque des branleurs glamour. Drogues dures, musique dure, fantaisies sexuelles baroques.
Ah, le vieux Lou Reed se sentait bien chez lui lorsq´il déboulait sur les deux heures du matin, lunettes noires et chemise de la même couleur boutonnée des manches au col, quelle que soit la température de la fournaise.
HARRYSTEIN
Devenus célèbres et presque riches, les Harrystein voient s´ouvrir le champ infini des expériences artistiques… Et pour bien célébrer cela, ils arrachent manu miltari un album solo à Chrysalis. Pas n´importe lequel : un album solo produit et enregistré par Chic. Chic ! Les seigneurs du funk renaissant. Les deux génies qui ont rendu la disco présentable en deux chansons. Chic, justement, a été intéressé par les efforts rap de Debbie (sur le très beau maxi « Rapture », avec une version longue et remixée pendant six minutes vingt-neuf, comptezles). Chic, qui sort d´un fiasco traumatisant avec Aretha Franklin, s´emballe. De longue date, Edwards et Rogers veulent se lancer sur le marché du rock blanc, affirmant qu´ils adoreraient produire Bruce Springsteen. Les deux couples se mettent au travail dans la fièvre et finissent par sortir un chef-d´œuvre (« Koo Koo ») qui passe fichtrement inaperçu l´été dernier.
Etait-ce la faute de la pochette de Hans Rudi Giger ?
Etait-ce le mélange des genres funky et pop jugés respectivement indigestes par les publics concernés ?
Pour avoir passé des heures et des nuits nocturnes à voyager entre les sillons moelleux de ce disque, pour le chérir à l´égal de la créme du matériel blondien, je ne peux vous en dire plus.
Et qui sait ?
Les gens voulaient voir Marilyn Monroe faire la ravissante ingénue avec un cowboy ringard. Si elle avait essayé de tourner son « Voleur de Bicyclettes », qu´en auraient-ils pensé, les blaireaux ?
Une chose est sûre, la maison de disques n´a pas poussé à la roue pour propulser l´effort solo Chic Debbie vers les masses. Un simple sorti sans promo (« Backfired »), un autre à la sauvette… Et on tira un pudique rideau sur l´expérience malheureuse.
Pas dur d´imaginer la suite !
« Chris, Debbie ? Entrez, entrez, mes amours ! Asseyez-vous et toi, Chris, sors tes mains de tes poches. Et toi, Deborah, cesse de renifler. Alors ? Qu´est-ce que je vous avais dit ? Vous avez vu les ventes ? Hein ? Pas brillant. Non, non. Ce ne sont pas les ventes du jour, mais de la semaine. Minable, non ? Aaaaaahhh ! Si vous aviez suivi les conseils de votre vieux président gâteau ! Aaaaaahhh ! Cela dit, j´aime votre album, Dieu sait que je l´aime, hein, quoi, non, dites-lui de rappeler, bordel, je suis en rendez-vous mon petit, bon Dieu, cette secrétaire ! Enfin… Quelle chaleur, hein ? Bon alors c´est convenu ? Vous commencez quand ? Ah oui, écrire des chansons, bien sûr. Bon. Disons dans un mois ? »
AU TAPIS
Je suis assis au bar du George V. Pendant que Shepp Gordon va vérifier que Debbie est bien réveillée pour l´interview, je regarde ma montre. Midi trente. Ce faisant, je fais tomber le dossier de l´attaché de presse RCA. Machinalement, je lis un télex Chrysalis à lui adressé. « Rock & Folk doit absolument faire l´interview.
Seul à seul avec Debbie. Pas de photos, mais un entretien aussi long que nécessaire.
Il y a une COUVERTURE en jeu. »
Je soupire.
Y a pas de business comme le show-business.
Shepp m´emmène dans une suite louée au second rien que pour y rencontrer la presse. Les musiciens dorment au cinquième, sous une garde impressionnante (moins que Jagger, plus que Reagan).
Un colosse entre et me dévisage de ses petits yeux porcins. Il ne m´aime vraiment pas. Je suis un de ces damnés bordel de foutus critiques qui vient zoner là, rencontrer son gagne-pain et – sans parano, hein – si je cachais un pistolet à eau pour refroidir l´idole ? On en a vu d´autres.
Je lui décoche mon sourire smilex numéro un, celui qui met en valeur mes quenottes brossées de frais. Il fronce les sourcils. Shepp revient et lui fait signe que je suis cool. L´armoire s´en va après un dernier regard haineux. Shepp m´explique que Debbie sera en retard. Il est une heure trente. Chris est malade, il ne viendra pas. Je rougis. Debbie à moi tout seul ?
UN CHIEN
R & F – Nous ne nous sommes pas vus à la sortie de votre album solo, et j´aimerais commencer par là. Que s´est-il passé ?
Debbie Harry – Ce fut un four. Apparemment, c´était impassable à la radio aux Etats-Unis: les disk-jockeys noirs n´en voulaient pas, c´était trop blanc. Pour les Blancs, c´était trop noir… La radio, la programmation sont encore plus strictes làbas. Chaque station a sa ligne, et les disques hybrides comme celui-là n´ont aucune chance. Moi, je sais qu´il y a un tas de groupes qui sont en train de travailler dans la même direction que moi à l´époque. J´ai hâte qu´ils réussissent à se faire entendre.
R & F – A l´époque, on disait le groupe Blondie dissous. Qu´en était-il ?
D.H. – Non, Jimmy Destri était en studio pour enregistrer son album solo, Clem Burke et Nigel Harrison travaillaient en Angleterre avec Michael Des Barre, puis Clem a tourné avec Iggy Pop. Iggy qui enregistre sur le label que Chris Stein vient de fonder, Animal Records.
R & F – On a également beaucoup attaqué la pochette de « Koo Koo »…
D.H. – Oh, non ! Les gens sont stupides ! Je suis complètement branchée sur la science fiction, j´adore Giger. J´aimerais bien faire le second film « Métal Hurlant ». En fait, on vient de finir la bande sonore d´un dessin animé canadien, « Drat », avec AC/DC, Lou Reed, Iggy Pop… C´est le meilleur dessin animé que j´aie jamais vu.
R & F – Avez-vous donné des concerts avec Chic ?
D.H. – Un, à New York.
R & F – Vous êtes restés bons amis ?
D.H – Ils sont tout de suite repartis en tournée, ils avaient leur propre album à faire… alors…
R & F – Je trouve que Chrysalis aurait pu essayer un tout petit peu plus de pousser « Koo Koo »…
D.H. – Ils l´ont tout de suite laissé crever. Pourquoi ? Parce qu´ils ne veulent pas que je quitte Blondie. Chut… Mais j´ai comme cette impression.
R & F – La pochette du nouvel album, c´est une perruque ?
D.H. – Non, un chien que j´ai tué et que je me suis collé sur la tête !
R & F – C´est un disque vaguement tropical, « The Hunter »…
D.H. – Je crois que c´est « à propos » (en français dans le texte). En cette saison, c´est fun… Mais ce n´est pas uniquement un album tropical et calypso. Il y a d´autres choses.
R & F – J´aime bien « War Child »…
D.H. – Aaaah ! Ça c´est une assez bonne description de ce qui se passe politiquement dans le monde. J´espère que les kids vont bien écouter ce titre. Tu vois, chaque nouveau disque me plait plus que tous ses prédécesseurs réunis. Sauf quand le premier album est sort ; je n´étais pas folle du résultat…
R & F – Il y a des fans qui soutiennent mordicus que c´est le meilleur !
D.H. – Le premier ? Au fou ! C´est le nouveau, le meilleur ! On est meilleurs, on est plus vieux, plus malins… J´adore « Dragon Fly », la mélodie surtout… Et la version de « The Hunter Gets Captured By The Game » est fantastique. Smokey Robinson… Voilà un type qui est actuellement reconnu comme un poète, mais il y a plus. Ses chansons sont des tout, très économiques, pas un temps mort, pas une redite…
R & F – La réunion de Blondie fut-elle heureuse ?
D.H. – Oh, oui ! C´était très excitant… On avait tous travaillé sur d´autres projets…
R & F – Vous aviez évolué chacun dans sa direction ?
D.H. – Oh, non. Blondie est Blondie. Spontanément, quand nous recommençons à travailler ensemble, c´est Blondie. Et le public aime ça. Il sait que Blondie ne changera pas. Nous avons tous envie de faire d´autres choses en dehors, nous les ferons, mais Blondie restera Blondie.
R & F – Le cinéma ?
D.H. – Ça va sortir. J´ai joué dans un film d´épouvante de Cronenberg, « Videodrome », qui montre des gens que la télé rend fous furieux… C´est bourré d´effets spéciaux, terrifiants.
R & F – C´est facile de devenir actrice ?
D.H. – Oh, non ! On a l´impression de refaire les mêmes choses des centaines de fois. Ça ressemble à l´enregistrement d´un disque.
R & F – Reverra-t-on Blondie sur scène ?
D.H. – Bof… Moui… Pourquoi pas… Sait-on jamais ?
R & F – C´est pas une réponse.
D.H. – Okay. Blondie fera définitive-ment-sans-doute une tournée cet automne en Europe. Comment on dit automne, en français ?
R & F – Automne.
D.H. – Automne… Quand les feuilles tombent.
R & F – Vous referez des raps ?
D.H. – Je crois que le rap a toujours existé. On n´appelait pas ça comme ça, c´est tout.
R & F – Habiter New York, ville des modes musicales passagères, ce n´est pas dangereux pour un groupe de renommée mondiale ?
D.H. – Non. Je ne crois pas que la musique soit un langage universel. On aime ou pas. Plus on peut faire passer de choses dans la musique, plus le public aime ça. Ça rejeunit la musique.
R & F – Croyez-vous avoir toujours la même image, le fantasme des teenagers en pleine puberté, ou est-ce que cet album solo a changé tout ça ?
D.H. – Pourvu ! Je sais pas (rires). C´est drôle d´être un rêve. J´en ai toujours eu, mais je préfère la réalité. A la longue, c´est mieux. Si vous fantasmez sur moi, laissez tomber. C´est vraiment pas ce que vous imaginez. Vraiment pas !
R & F – Avez-vous lu la bande dessinée de Serge Clerc sur vous ?
D.H. – Oui. Et c´était vraiment pas correct ! Moi, en prison ? ! Stop !
R & F – C´est moi qui ai écrit le scénario…
D.H. – Hein ? ! Petit salaud ! Moi qui n´ai jamais mis les pieds en prison…
R & F – C´était un fantasme autour de « Riot In Cell Block No 9 »…
D.H. – Oh, bon, bon… C´était drôle, mais si les gens y ont cru… oh là là…
R & F – Cette bande a paru en Allemagne, aux USA, en Italie et en Espagne… J´ai réalisé que Debbie Harry, comme une nouvelle Marilyn Monroe, excitait terriblement l´imagination des gens…
D.H. – Oui, c´est bien pour les gens, mais pour moi ?
R & F – Une dernière question, superindiscrète… Quel âge avez-vous ?
D.H. – Oh ! Faut vraiment que je réponde, là ?
R & F – Non.
Croyez-le ou non, c´est déjà fini. Naturellement, si je tombais dans un puits avec Debbie, il se passerait pas mal de temps avant que j´appelle au secours, mais là, dans cette chambre impersonnelle et roccoco, décorée par Rod Stewart ou son frére, avec le type de « Best » qui piaffe dans le couloir, qu´est-ce que vous auriez fait ? J´ai remballé mon magnéto.
Avant de partir, on a fait quelques pas sur le grande terrasse ensoleillée. Pour causer, je dis à Debbie que je vais voir Kid Creole à Londres le soir-même. Pour la première fois en une heure, elle semble se réveiller. « Kid Creole ? ! Il est vachement populaire par ici, non ? » J´acquiesce. Quelque chose comme de la tristesse et de la rage passe – un si court instant – dans les yeux de la star. Et elle reprend soudain son air de sphinx impénétrable. L´incident est clos. Je pars.
Qu´elle était belle, en cet instant précis. Parole, si elle dévoilait ne serait-ce que le quart de ce petit éclair sur ses albums et laissait l´être humain apparaître sous le masque convenu de la pin-up pop, elle en vendrait des millions de milliards de tonnes. – PHILIPPE MANŒUVRE.

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