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Rock & Folk

March 2014

En couverture

BLONDIE

De retour au printemps avec de nouvelles chansons, Debbie Harry et Chris Stein commentent en longueur la saga du groupe le plus flamboyant de son époque. Punk ? Disco ? New wave ? Un peu tout cela en même temps, c’est tout l’intérêt.

Quarante ans d’une carrière pop plutôt rock’n’roll. Dix albums dont le prochain, “Ghosts Of Download”, sera publié en mai dans le cadre d’un anniversaire que Blondie célébrera également sur scène. Parce que c’est là où Deborah Harry, Chris Stein, Clem Burke et les autres ont toujours préféré donner la pleine mesure de leur talent. Pour y jouer leurs tubes inoxydables. “Heart Of Glass”, “Sunday Girl”, “In The Flesh”, “Rapture”, “Dreaming”, “Atomic”… répartis, depuis 1976, sur des disques écoulés à plusieurs millions d’exemplaires (près de cinquante au récent recensement). Tout cela, malgré un break de plus de quinze ans. Une décennie après notre dernière rencontre à New York pour “The Curse Of Blondie”, Debbie et Chris ont accepté de s’exprimer très longuement. A Paris et au micro de Rock&Folk. A l’heure où la plupart de leurs congénères minutent leur temps de parole, ils ont fait leur Discorama. C’est un privilège. Car Blondie est un groupe de survivants. Qui a explosé en pleine gloire en 1982, contaminé par le succès. Qui a rendu gravement malade son principal compositeur, Stein, que Harry a ensuite pris le temps d’aider à se soigner. Ils ne se sont jamais mariés et ne sont plus ensemble depuis la fin des années 80, mais ces deux-là adorent travailler l’un avec l’autre (et même sur les disques solo de la chanteuse). Et lorsque Chris a suggéré à Debbie de faire renaître Blondie de ses cendres en 1995, elle n’a trouvé aucun argument à lui opposer. Depuis, le groupe a enregistré quatre nouveaux albums, regagné le sommet des charts (avec single “Maria”) et, bien qu’elle déteste ça, Deborah Harry, ex-Marilyn de la new wave new-yorkaise, copine des Ramones et Talking Heads, et égérie tardive d’Andy Warhol, est devenu une icône. De Madonna à Lady Gaga en passant par Annie Lennox, Joan Jett et Gwen Stefani, toutes les femmes qui ont chanté avec tempérament après elle lui doivent quelque chose. Plus fort encore : depuis la fin des années 90, les rappeurs (Coolio est intervenu sur “No Exit”), les groupes branchés (Beth Ditto, de Gossip, chante sur “A Rose By Any Name”, le single de Blondie paru en juin dernier) et les nouveaux acteurs de la scène dance (Systema Solar) et hip-hop (Los Rakas) font des pieds et des mains pour collaborer avec son groupe. Admis au Rock And Roll Of Fame en 2006, Blondie, désormais secondé par de nouvelles recrues, va de l’avant. Le groupe met un point d’honneur à faire sortir la pop de ses gonds en continuant d’écrire des chansons originales (qui le sont vraiment) et en s’appropriant celles des autres (“Sunday Smile” de Beirut sur “Panic Of Girls”, “Relax” de Frankie Goes To Hollywood sur l’album à paraître). Ce Discorama que Chris Stein, retardé par une autre interview, a pris en cours, est suivi d’un Disque à Disque auquel Etienne Daho (qui a invité Deborah Harry à chanter sur son nouvel album) a collaboré en indiquant, pour chacun d’entre eux, les titres à écouter en priorité.

PAR JEROME SOLIGNY

ROCK&FOLK : A l’instar de certains premiers albums parus à la même époque, “Cabretta” de Mink De Ville par exemple, “Blondie” a eu beau être qualifié de new wave, il ne sonnait pas si neuf pour autant. Plus exactement, il comporte de nombreuses références à la pop des années 50 et 60…
Deborah Harry : L’étiquette new wave sous-entendait surtout que toute la musique de cette époque-là se ressemblait, ce qui, comme nous le savons tous aujourd’hui, n’était absolument pas le cas. Blondie se voyait plutôt comme un groupe pop-rock qui faisait tout pour y arriver et lorsque Jimmy Destri nous a rejoints, on était déjà bons. Ses claviers ont beaucoup contribué à métamorphoser notre son et, quelque part, à l’extirper de ses influences.

R&F : Sur ce premier album, vous signez plus de la moitié des textes. Etait-il important pour vous de vous imposer tôt en tant qu’auteur, de ne pas être seulement la chanteuse de Blondie…
Deborah Harry : Oui, même si ma contribution n’est pas toujours conventionnelle. La plupart de mes textes sont, disons, accidentels. Ils naissent d’une idée, d’un sentiment que je peux avoir envie de développer. Idem sur le plan mélodique : il m’arrive de suivre mon instinct, de prendre quelques libertés. Chris me dit alors : “Non, tu ne chantes pas la bonne mélodie, ça fait comme ça…” Il arrive également qu’il approuve mes initiatives (rires). Ça peut paraître difficile à croire, mais notre écriture a toujours eu quelque chose d’expérimental, nous improvisions souvent à cette époque. Les moments que je préfère sur “Blondie” et “Plastic Letters”, l’album suivant, sont nés d’expérimentations.

R&F : En regardant les pochettes de vos premiers albums (toutes étalées sur la table basse de la suite de l’hôtel durant l’interview), on constate que vous attachiez une grande importance à votre présentation, à votre allure…
Deborah Harry : Vous savez, en ce qui me concerne, c’est surtout parce que j’étais la petite amie de Chris Stein à l’époque, je voulais être jolie pour lui. J’ai des idées assez arrêtées sur la manière dont je dois m’habiller… Parfois, elles sont bonnes… parfois, un peu moins (rires).

R&F : Avez-vous le sentiment que ces premiers albums, capitaux pour les amateurs de votre musique, ont été déterminants pour la suite de votre carrière ? Vous arrive-t-il d’y revenir, sont-ils vos propres références ?
Deborah Harry : Certainement. Même si, sur le plan technique, ce n’est pas aussi bien exprimé que nous l’aurions souhaité. “Blondie”, pas exemple, offre une grande variété de styles… “Man Overboard”, “Rip Her To Shreds”, ces chansons ont des saveurs totalement différentes.

R&F : Les albums que vous avez enregistré à partir de 1999, après un break de plus de quinze ans, brillent également par la diversité des genres qu’ils proposent…
Deborah Harry : Vous savez, Chris et moi avons grandi dans les années 60, sous l’influence d’une véritable révolution culturelle, et nous avons abordé nos premiers disques comme une sorte de passage, un chaînon entre passé et futur. Et puis, nous étions également perméables à ce qui arrivait autour de nous, New York était alors un véritable creuset de genres musicaux. Quelque part, nous avons été modelés par ce nous entourait et c’est toujours le cas.

R&F : La seconde moitié des années 70 devait être époque formidable pour faire de la musique à New York…
Deborah Harry : Absolument et nous étions tous différents : Ramones, Talking Heads… La ville grouillait de rockers à forte personnalité.

R&F : Au tout début de l’enregistrement de “Plastic Letters”, un membre crucial du groupe s’en va : Gary Valentine, votre bassiste qui a composé “X Offender”, le premier single de Blondie, et “(I’m Always Touched By Your) Presence, Dear”, sur ce deuxième album. Blondie a connu de nombreux changements de personnel…
Deborah Harry : Dans notre cas, c’est essentiellement dû à un mauvais management et à des conflits de personnalités.

R&F : On raconte que Peter C Leeds, votre premier manager, vous montaient les uns contre les autres et essayait de vous mettre en avant par rapport au reste du groupe…
Deborah Harry : Oui, nous avons eu de nombreux problèmes dans ce domaine. Et encore assez récemment. Si nous n’avions pas recontré Allen Kovac, de Five Seven Music, il y a fort à parier que Blondie n’existerait plus. Peter C Leeds laissait entendre aux musiciens qu’ils étaient remplaçables, sans importance, et ça les rendait nerveux. Gary avait un certain sens de la destinée, une approche très philosophique de la vie. A cause de ce manager de merde, il a préféré partir.

R&F : Vous reprenez “Denis” sur “Plastic Letters”, et un des couplets est chanté en français. Comme de nombreux Americains lettrés de votre génération, vous adoriez la France et la culture française…
Deborah Harry : Oh oui, même si à l’époque, je n’avais jamais entendu la version de Frank Alamo (qui a également repris cette chanson sous le titre “Sylvie” en 1963 – NdA). J’ai chanté une partie en français que je trouvais que ça collait bien.

R&F : Au moins, on comprend ce que vous racontez. David Bowie qui a enregistré “Heroes” en français à la même époque, n’était pas aussi bon que vous…
Deborah Harry : Votre langue est très difficile pour nous. Il aurait fallu qu’on l’apprenne plus tôt ou qu’on vive ici quelques années pour bien la maîtriser. Je réussis un peu à la lire, mais la prononciation reste un problème (rires). La France est effectivement une de nos influences majeures, la mode notamment. Une de mes héroïnes est Brigitte Bardot. C’est une énorme star, un sex-symbol qui a frappé les esprits, et le fait qu’elle consacre désormais sa vie à la sauvegarde des animaux inspire le respect.

R&F : Après “Blondie” et “Plastic Letters”, vous arrêtez de travailler avec Richard Gottehrer et démarrez une collaboration avec Mike Chapman. Qu’est-ce qui a motivé ce choix à l’époque ?
Deborah Harry : Le fait de changer de label. Lorsque Chrysalis a racheté notre premier album à Private Stock, le deuxième était en chantier et Gottehrer l’a naturellement produit. Terry Ellis, de Chrysalis a ensuite suggéré à Chapman de venir nous voir pendant une résidence au Whisky A Go-Go à Los Angeles. Il s’est pointé et n’a fait que rigoler (rires).

R&F : Et là, alors que vous commenciez à marcher dans plusieurs pays du monde, il a décidé d’enclencher la machine à tubes…
Deborah Harry : Exactement, on avait l’impression d’être à l’école. Il a su tirer ce qu’il fallait de nous pour que nos chansons cartonnent davantage et passent beaucoup en radio.

R&F : Assez curieusement, vous avez commencé par marcher en Australie, puis au Royaume-Uni, avant de finalement connaître le succès chez vous. Cela ne vous a-t-il pas semblé curieux à l’époque ?
Deborah Harry : Oui, mais c’était le cas de nombreux groupes américains de notre génération qui, au début de leur carrière, ont créé le buzz ailleurs qu’aux USA.

R&F : Certains ont même marché surtout en Europe. La France a la réputation d’avoir bien accueilli des artistes qui n’ont jamais eu le succés escompté chez eux…
Deborah Harry : Nous l’avons effectivement constaté. Là où Chapman a fait très fort, c’est en modelant un son qui correspondait au monde entier. Il n’a jamais insisté non plus coécrire avec nous, ce qui est le défault de certains producteurs qui ont de nombreux tubes à leur actif, et notamment certains qu’ils on cosignés.

R&F : Il y a des reprise sur plusieurs de vos albums, “Denis”, “Hanging On The Telephone”, “The Tide Is High”… Quels étaient vos critères de sélection ?
Deborah Harry : On les choisissait avant tout parce que c’étaient de bonnes chansons, et on estimait qu’elles pouvaient élargir notre prisme musical.

R&F : A la fin des années 70, votre son devient un peu plus funky, comme si vous subissiez l’influence de ce que vous écoutiez au Studio 54. La mode est aux remix disco et des chansons comme “Heart Of Glass” ou “Rapture” vont bénéficier de ce traitement…
Deborah Harry : En vérité, la technologie y est pour beaucoup. Les nouveaux synthétiseurs et les premières boîtes à rythmes permettaient d’accéder plus facilement à ses climats et ambiances, et on y est allés à fond. Blondie n’a jamais été un groupe dance à proprement parler, mais nous avons incorporé ces nouvelles sonorités qui ont contribué à nous faire sonner plus modernes d’une certaine manière.

R&F : A la réécoute de votre discographie, un constat s’impose : le style Blondie, c’est de ne pas en avoir. Ce qui la caractérise, c’est la multitude de genres abordés…
Deborah Harry : Ah, merci ! Mais notre musique doit également sa personnalité à notre style de jeu. Clem Burke frappe sa batterie d’une manière très caractéristique et Chris possède une technique bien à lui, qui vient principalement du bluegrass.

Visages d’animaux
R&F : En 1979, pour “Eat To The Beat”, alors que MTV n’existe pas encore, vous décidez de tourner un clip pour chaque chanson de l’album.
Deborah Harry : Ça n’avait jamais été fait avant je crois, et on avait les moyens. Au lieu d’une succession de clips, j’aurais préféré qu’il y ait une sorte de trame qui les relie entre eux, une histoire… Mais nous n’avons pas eu assez de temps pour ça. On a laissé David Mallet faire car il était déjà bon et avait des idées géniales. Ça a coûté une fortune à l’époque.

R&F : A partir de “Heart Of Glass”, vous allez enchaîner les numéros 1 de chaque côté de l’Atlantique, notamment avec “Atomic”, extrait en single de “Eat To The Beat”, et bien sûr “Rapture” sur Autoamerican”. Blondie a-t-il su gérer ce succès planétaire (arrive Chris Stein, libéré de son interview précédente, qui se joint à la conversation) ?
Chris Stein : Les dangers du succès ? Mmm, je dirais les drogues gratuites, pour commencer (rires).
Deborah Harry : On n’en prenait pas au début, Chris fumait quand même un peu…
Chris Stein : Oui, quand même (rires). Mais rien de méchant.
Deborah Harry : Au fur et à mesure, certains membres du groupe se sont mis à la coke, mais pas moi…
Chris Stein : Personnellement, ça m’a pris un peu de temps à les rattraper (rires). Tiens, Debbie, regarde (il lui montre une photos sur son téléphone).
Deborah Harry : Waow, il y en a déjà tant que ça ? Il neige énormément à New York, c’est terrible. Bon, allez, on continue. Où en sommes-nous ?

R&F : Euh, “Autoamerican” en 1980…
Chris Stein : Eh bien cette année-là, nous marchions vraiment très fort, et pour ce disque, on a eu le droit au grand jeu.

R&F : Même si on vous voit à New York sur la couverture, ce cinquième album est le premier que vous n’y enregistrez pas…
Chris Stein : Effectivement, on l’a fait à Hollywood, le grand jeu on vous dit (rires). On s’est retrouvés dans la situation qu’ont connue la plupart des groupes qui ont eu la chance de cartonner : “On veut un grand orchestre !” Pan ! Voilà l’orchestre qui déboule. Et vous savez quoi ? Le bassiste de l’orchestre avait joué sur la musique de “Lawrence d’Arabie”.

R&F : Pas mal !
Chris Stein : Exact ! Je me suis dit que ma vie pouvait s’arrêter là (rires). Et l’arrangeur était Jimmie Haskell, compositeur de musique de film… Je lui ai joué toutes les parties au synthé et il a mis un peu d’ordre dedans avant d’écrire les partitions pour les cordes… Pour les cuivres de “The Tide Is High”, je lui ai chanté les parties et hop, il n’avait plus qu’à les écrire. Quant au saxophoniste sur “Rapture”, c’est carrément Tom Scott qui a joué avec les plus grands (des Beach Boys à Sinatra en passant par McCartney, Pink Floyd et les Blues Brothers) et sur des thèmes de film comme celui de “Taxi Driver”.

R&F : “Rapture” a fait l’effet d’une bombe à l’époque. Ce n’est pas la première chanson enregistrée avec du rap dedans, mais c’est la première qui se soit si bien comportée dans les charts. Debbie, vous sembliez très à l’aise dans cette partie rappée…
Deborah Harry : Mmmouais, si on veut…
Chris Stein : Elle renâcle car elle a le sentiment qu’elle aurait pu mieux faire. Une fois la prise terminée, qui était une sorte d’essai pour elle, Chapman a dit : “C’est parfait, on ne touche plus à rien.”
Deborah Harry : J’écrivais le texte au fur et à mesure que je chantais et je pensais que j’allais pouvoir tout refaire à la fin.

R&F : A partir du début des années 80, c’est vraiment la folie sur le plan de vos activités. Debbie enregistre “Call Me” avec Giorgio Moroder pour la BO du film “American Gigolo”, publie “KooKoo”, un premier album solo produit par Chic, puis paraît “The Hunter”, un sixième Blondie en un peu moins de six ans…
Deborah Harry : Oui, c’était trop et bien trop de stress. J’ai toujours pensé que c’est ce qui avait causé la maladie de Chris. On ne faisait jamais de breaks, le groupe a fini par exploser.
Chris Stein : En fait, notre management laissait le label diriger les opérations, Blondie était à sa merci. A cette époque, ça marchait comme ça. Aujourd’hui, les bons managers sont en guerre contre les maisons de disques.

R&F : Malgré la pression et la folie ambiante, la plupart de ces albums ne sonnent pas datés aujourd’hui. Comme si, au bout du compte, votre musique avait été épargnée…
Chris Stein : Tant mieux et j’espère que c’est le cas. Beaucoup de groupes de l’époque sonnent très années 80, mais dans le mauvais sens du genre…
Deborah Harry : Je trouve tout de même que certains de nos disques sonnent moins bien que d’autres…

R&F : Oui, mais, ce ne sont pas les tout premiers dont le son continue de faire fantasmer aujourd’hui. Ceux qui ont souffert sont ceux qui ont été enregistrés avec une technologie très reconnaissable et donc caractéristique de son époque : certains sons de synthé, de caisse claire, l’emploi de gate reverb… Les faux cuivres de “Island Of Lost Souls” sur “The Hunter”…
Deborah Harry : Ce disque a été enregistré en plein chaos. La tournée qui a suivi été amputée de moitié, et l’état de santé de Chris se dégradait rapidement. Le groupe a fini par se séparer en 1982.
Chris Stein : Ce qui a niqué cet album, c’est surtout sa pochette (rires). Le concept, c’était de nous faire des visages d’animaux, tout ça, c’était juste avant la folie de “Cats”, mais franchement, ça ne l’a pas fait du tout.
Deborah Harry : Plus sérieusement, je crois qu’à cette époque, plus personne, dans le groupe, n’était d’accord sur rien.
Chris Stein : C’est dommage, car il y a des trucs pas si mal ce disque…

R&F : “English Boys” était votre hommage à John Lennon, assassiné fin 1980 ?
Chris Stein : Oui, pour nous, ç’a vraiment signifié la fin d’une ère, les années 70.
Deborah Harry : Ça a fait trembler le monde, tu veux dire.

Démarche intellectuelle
R&F : Vous remontez Blondie à la fin des années 90 et publiez “No Exit”, produit par Craig Leon, l’assistant de Richard Gottehrer. Alors que vous auriez pu la jouer prudent avec des chansons pop propres sur elles, il vous aide à confectionner un son assez dur…
Chris Stein : C’était exactement notre propos : surtout ne rien sacrifier à la nostalgie, montrer que nous étions capables d’affronter l’avenir.
Deborah Harry : L’idée n’était pas de se contenter de jouer nos anciens tubes… On voulait taper du poing.

R&F : Et un nouveau hit a surgi presque instantanément de l’album, “Maria”, une chanson écrite par Jimmy Destri…
Chris Stein : Oui, c’était particulièrement excitant de constater que notre musique rimait encore à quelque chose, mais on savait que ce n’était pas gagné pour autant. Fitzgerald a dit : “Il n’y a pas de deuxième acte dans une vie américaine”… On aura au moins réussi à passer ce cap (rires). C’était super de se retrouver avec Craig, on travaille bien ensemble. Ce disque, comme le suivant, a été en partie réalisé dans ma cave, à Tribecca où j’ai monté un studio.

R&F : Avec “No Exit”, vous faites à nouveau allusion à la France puisque son titre est celui d’une pièce de Jean-Paul Sartre (“Huis Clos” en français). Il y a également une citation sur la pochette : “Il ne sera pas dit que nous n’aurons pas tenu quinze minutes.”
Chris Stein : Ça vient d’un livre assez obscur qu’il a écrit pendant la guerre…

R&F : “La Mort Dans L’Ame”, le troisième volume des “Chemins De La Liberté”…
Chris Stein : Voilà… C’était une manière détournée de faire allusion à la téléréalité.

R&F : “The Curse Of Blondie”, en 2003, est distribué par un label différent du précédent et du suivant. Les choses sont devenues un peu plus complexes pour vous sur le plan discographique. Jouer en live n’est pas un problème, mais vendre des disques commençait à l’être…
Chris Stein : Eh oui. On peut voir ce qu’on veut dans ce titre mais, pour moi, la malédiction de Blondie c’est que ce groupe continue de n’en faire qu’à sa tête, en refusant les contraintes et les modèles. Et puis Internet est en train de bouleverser les règles du métier, tout le monde essaie de s’y adapter tant bien que mal.
Deborah Harry : Il faut tirer des enseignements de ce qui se passe, parvenir à positiver.

R&F : C’est ce que vous vous êtes dit lorsque les bandes de l’album ont été bloquées pour des histoires d’argent…
Chris Stein : Quel délire… C’était la faute de Craig, un problème de note d’hôtel je crois (rires)…
Deborah Harry : Effectivement, on ne réussissait pas à récupérer les chansons. Ce n’est pas la première fois qu’un de nos disques était bloqué. Mike Chapman a fait le coup à Chrysalis une fois ou deux. Le label trouvait qu’il n’y avait pas de singles sur “Parallel Lines” et Autoamerican”, et Chapman a décidé de garder les bandes. Ç’avait finalement tourné à notre avantage, les disques étant sortis comme on l’entendait…
Chris Stein : … Et donc on ne s’était pas plaints à l’époque (rires).

R&F : En 2011, paraît “Panic Of Girls” distribué par EMI en Europe, mais uniquement en vente sur Amazon aux USA. En Angleterre, le disque est d’abord sorti dans un magazine…
Chris Stein : Le monde et la pop ont bien changé. Les superstars de notre génération se moquaient bien de rouler en Rolls-Royce ou de posséder un jet et des bijoux… On avait une démarche que, comparée à celle de gens comme Kanye West, on est bien obligés de qualifier de plus intellectuelle. Franchement, je n’ai jamais rien eu à battre d’avoir une Rolls ou pas.

RECUEILLI PAR JEROME SOLIGNY


BLONDIE DISQUE A DISQUE

Cet historique de la discographie du groupe a été réalisé avec la complicité d’Etienne Daho, grand amateur de Deborah Harry et Chris Stein depuis 1976. Chacun de leurs dix albums est suivi de la sélection d’Etienne : les titres à écouter d’abord. Daho a également pris le temps de déclarer : “La contribution de Blondie à l’art rock est phénoménale. Défrichant l’avant-garde et la musique de la rue pour les partager avec le plus grand nombre, le groupe a réussi à exploser les cloisons et porter la pop à son sommet, laissant des traces indélébiles à nos sensibilités d’adolescentes et d’homme faits. Si les déchirements, les drames et les déceptions ont eu raison de la créativité et de l’unité du groupe au début des années 80, leur reformation inespérée a rassemblé des nouvelles générations de jeunes aficionados. En 2014, le duo Debbie Harry/Chris Stein reste furieusement cool.”

“BLONDIE” 1976
Private Stock
Le guitariste Chris Stein rejoint les Stilettos de New York en 1973 et s’amourache de Deborah Harry (ex-The Wind In The Willows), une de leurs chanteuses. L’année suivante, le couple fonde un nouveau groupe (Fred Smith y tient la basse), qui se stabilise en 1975 avec Clement Burke à la batterie, Jimmy Destri aux claviers et Gary Valentine en replacement de Smith. Signé par le label Private Stock, Blondie enregistre avec Richard Gottehrer ce premier album de pop américaine classique mais revisitée avec tact.
SELECTION ETIENNE DAHO : “X Offender”, “In The Flesh”, “In The Sun”, “Rip Her To Shreds”

“PLASTIC LETTERS” 1978
Chrysalis
Deux chanson vont contribuer à la qualité de ce deuxième album conçu avec Richard Gottehrer alors que Blondie est encore sous contrat avec Private Stock : “Denis”, une reprise féminisée d’un titre de Randy & The Rainbows, et “(I’m Always Touched By Your) Presence, Dear”, une intouchable laissée en guise de cadeau d’adieu par Gary Valentine (il quitte alors Blondie pour une carrière solo et deviendra ensuite auteur à temps plein).
SELECTION ETIENNE DAHO : “Denis”, “(I’m Always Touched By Your) Presence, Dear”, “Fan Mail”, “I’m On E”, “Love At The Pier”

“PARALLEL LINES” 1978
Chrysalis
A la suggestion de Chrysalis, Blondie débute une collaboration de quatre albums avec Mike Chapman, producteur australien qui s’est fait un nom en Angleterre dans les seventies glam en produisant (et cosignant) avec ou sans son compère Nicky Chinn des tubes pour Sweet, Suzi Quatro ou Mud. Amusé par le groupe, il va en tirer le meilleur sur le plan du songwriting et “Parallel Lines”, enregistré avec deux nouveaux membres (Frank Infante à la guitare et le bassiste Nigel Harrison), est souvent considéré comme le meilleur Blondie. Temps fort de l’album vendu à plus de vingt millions d’exemplaires, la pétillante “Heart Of Glass” à laquelle le groupe ne croyait pas plus que ça.
SELECTION ETIENNE DAHO : “Heart Of Glass”, “Hanging On The Telephone”, “Picture This”, “Pretty Baby”, “11:59”

“EAT TO THE BEAT” 1979
Chrysalis
Aussi musclé sur le plan sonore et consistant au niveau de l’écriture, “Eat To The Beat” est sensiblement plus pop que son prédécesseur, et les radios du monde entier ne vont pas s’y tromper en passant massivement ses quatre singles (“Dreaming”, “Neon City Blues”, “The Hardest Part” et “Atomic”). Ebranlé mais pas encore déstabilisé par les aléas d’un succès faramineux – la formation est alors managée par Alive Enterprises qui la presse comme un citron – Blondie s’impose comme le groupe issu de la new wave américaine le plus populaire dans le monde et notamment en Angleterre où “Eat To The Beat” se classera en tête du top albums.
SELECTION ETIENNE DAHO : “Atomic”, “Dreaming”, “Union City Blue”, “Shayla”, “Die Young Stay Pretty”, “Slow Motion”, “Sound-A-Sleep”, “Victor”

“AUTOAMERICAN” 1980
Chrysalis
Alors qu’il en rêvait depuis longtemps, Mike Chapman aura donc dû attendre 1980 et son troisième album avec le groupe pour l’emmener enregistrer loin de New York. A Los Angeles et avec un budget faramineux, ils vont mettre en boîte un disque riche en climats différents (du cinématographique titre d’ouverture “Europa” à la reprise de “Follow Me”, extraite de la comédie musicale “Camelot”, en passant par l’incantation funky “Rapture” déclinée à l’époque, comme “Live It Up”, sur des maxis 45 tours – Special disco mix).
SELECTION ETIENNE DAHO : “The Tide Is High”, “Rapture”, “Europa”, “Here’s Looking At You”, “T-Birds”, “Follow Me”

“THE HUNTER” 1982
Chrysalis
Après trois années passées au sommet, ce quatrième et dernier album produit par Mike Chapman est paru alors que Blondie, de plus en plus volage au cours des mois qui ont précédé sa sortie – Deborah Harry a enregistré “Call Me” avec Giorgio Moroder et un premier album solo écorné par la critique – est également en pleine détresse sur le plan personnel et financier. Le groupe jette ses dernières forces dans ce concept album assez tortueux dont certaines chansons abordent des sujets sérieux (“War Child” ou “English Boys”, hommage aux Beatles pour décrire la fin des utopies). “For Your Eyes Only”, écrite pour le James Bond du même nom, sera finalement refusée par la production du film qui lui préférera un thème chanté par Sheena Easton.
SELECTION ETIENNE DAHO : “English Boys”, “Orchid Club”, “The Hunter Gets Captured By The Game”

“NO EXIT” 1999
Beyond
A la fin des années 90, quinze ans après une séparation forcée par le destin et les aléas d’une profession qui ne fait pas de quartier, Deborah Harry et Chris Stein, devenus simples amis, sollicitent les membres originaux du groupe pour quelques concerts de retrouvailles aux USA puis en Europe. Mais c’est à quatre (avec Clem Burke et Jimmy Destri) que Blondie, assisté par Craig Leon, va enregistrer son premier album en dix-sept ans. Malgré la présence du tube “Maria” signé Destri, le disque n’aura pas la résonance de ses lointains prédécesseurs.
SELECTION ETIENNE DAHO : “Maria”, “Nothing Is Real But The Girl”, “Night Wind Sent”, “Under The Gun”, “The Dream’s Lost On Me”

“THE CURSE OF BLONDIE” 2003
Epic
Boosté par la production solide de Steve Thompson (finalement préféré à Craig Leon en cours d’enregistrement), “The Curse Of Blondie” est l’album le plus controversé du groupe après “The Hunter”. Il possède pourtant son lot de titres rock enlevés (“Golden Rod”, “End To End”) et de bonnes chansons electro-pop dont “Good Boys”, extraite en singles après avoir été moulinée et remixée par Giorgio Moroder. Parmi les autres curiosités de cet ensemble disparate (et donc cohérent pour Blondie), on signale la présence de “Hello Joe”, hommage à Joey Ramone.
SELECTION ETIENNE DAHO : “Good Boys”, “Golden Rod”, “Rules For Living”, “Desire Brings Me Back”, “Songs Of Love”

“PANIC OF GIRLS” 2011
Five Seven Music
Il a beau avoir été question qu’il y participe, Jimmy Destri est absent de ce second album (après “Autoamerican”) enregistré hors de New York (à Woodstock et dans le New Jersey) sous le houlette de Jeff Saltzman (The Killers) et Kato Khandwala (Paramore). Classique dans son approche, le duo de producteurs octroie néanmoins une tonalité contemporaine à ce disque electro-rock où se distinguent de nouvelles recrues dont le guitariste Tommy Kessler, le bassiste Leigh Foxx et Matt Katz-Bohen aux claviers. Chris Stein et Deborah Harry n’ont pas hésité à faire participer ce dernier à l’écriture de cette petite dizaine de chansons originales.
SELECTION ETIENNE DAHO : “What I Heard”, “Words In My Mouth”, “China Shoes”, “Horizontal Twist”

“GHOST OF DOWNLOAD” 2014
Five Seven Music
Disponible en mai prochain dans un package spécial – “Blondie 4(0) Ever” – contenant également un CD d’une douzaine de ses tubes récemment revisités par le groupe (“Deluxe Redux : Greatest Hits”), histoire de célébrer dignement ses quatre décennies d’existence, “Ghosts Of Download” est certainement l’album le plus electro de la discographie du groupe. Concocté pour l’essentiel par Chris Stein, chez lui avec Jeff Saltzman, le disque donne également l’occasion à Beth Ditto (“A Rose By Any Name”), Miss Guy (“Rave”) ou Systema Solar (“Sugar On The Side”) de collaborer avec Blondie pour la première fois.
SELECTION ETIENNE DAHO : “A Rose By Any Name”, “Winter”, “Rave”, “Euphoria”

La discographie originale (Chrysalis) de Blondie, rééditée en 2001 avec des chansons bonus, est disponible chez Capitol/Universal. Une édition Deluxe de “Parallel Lines” (CD/DVD) est parue en 2008 avec des bonus différents. Les trois albums sortis depuis 1999 figurent encore au catalogue des labels qui les ont distribués. Les quatre albums solo enregistrés par Deborah Harry pour Chrysalis ont disparu du catalogue mais sont tous disponibles sur les sites de vente en ligne. “Necessary Evil”, son dernier publié en 2007 chez Eleven Seven, est également commercialisé par iTunes.

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