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ELLE

28th Avril 2017

Pages 90, 91, 92 & 93

JOUE-LA COMME BLONDIE

INSPIRATION

LA PUNK FEMINISTE DEBBIE HARRY, CHANTEUSE DU GROUPE BLONDIE, REVIENT AVEC UN ALBUM TANDIS QUE SON LOOK ULTRA 80’s HANTE LES PODIUMS DE CETTE SAISON.
PAR FLORENCE TREDEZ

Glamour, rock et beauté. Avec ses leggings rayés, ses Perfecto en cuir noir ou ses tops à sequins asymétriques, Debbie Harry, la chanteuse du groupe Blondie, incarne à jamais les 80’s. Son style en a fait une icône de mode et n’a jamais cessé d’ enflammer l’imaginaire des créateurs. Dès la fin des années 1970, Stephen Sprouse, excentrique designer américain trop tôt disparu, l’habille. Ce proche de Marc Jacobs concocte pour elle des pièces à la fois punk et sophistiquées comme l’emblématique robe à une seule bretelle du clip de « Heart of Glass ». Plus proches de nous, Hedi Slimane, grand amoureux des mythes rock’n’roll, lui a rendu hommage avec les mini-robes moulantes à paillettes et soutiens-gorge noirs de son défilé Saint Laurent automne-hiver 2015. Et Isabel Marant a convoqué la mythologie du clubbing new wave à coup de mini zippées en vinyle ou de petites robes volantées pour sa collection automne-hiver 2016-2017. « Debbie Harry a influencé la mode en général, explique Marie Douchet, styliste au bureau de tendances Peclers Paris. Chaque créateur a injecté la touche Blondie à un moment ou à un autre dans ses collections, que ce soit l’imprimé léopard, la robe en cuir, la veste masculine surtaillée, l’accessoire clouté, le total-look denim ou le rose baby-doll. Pour le printemps-été 2017-2018, on retrouve ses robes 80’s chez Anthony Vaccarello pour Saint Laurent, Jeremy Scott, Versace ou Balenciaga. »
Mais, au-delà de la citation de la période CBGB-Studio 54, en quoi le look de la chanteuse de Blondie fait-il date ? Et de quelle féminité est-elle le nom ? Si Debbie Harry a mis en transe toute une génération, c’est qu’elle est une égérie raccord avec son époque, inspirant Andy Warhol et posant pour Mapplethorpe. « Dans ses vêtements, comme dans son make-up, elle joue de l’énergie de la couleur, ce qui est la signalétique du pop art, décrypte Anna de Marnhac, spécialiste de l’histoire de la beauté et auteure des “101 mots du maquillage” (éd. Archibooks). Avec sa bouche rouge et son regard charbonneux très graphiques, elle fait penser aux modèles peints par Tom Wesselmann, autre figure de ce mouvement artistique. En cela, elle annonce la société de l’image. » Chez elle, comme chez Madonna ou Lady Gaga, rien n’est naturel, tout est construit. Il fallait que l’ex-brunette du New Jersey, qui fut secrétaire, serveuse et même Playboy Bunny, s’invente. Et quand elle s’y attelle, c’est pour bousculer les stéréotypes, proposer de nouvelles visions transversales du féminin. Car Debbie-Blondie joue tour à tour les amazones (c’est une des premières femmes à la tête d’un groupe rock masculin), les playmates punk à la charge sensuelle radioactive, les oiseaux de nuit disco brûlant leur vie sous une boule à facettes. Â ses débuts, certains critiques musicaux crient au scandale : aveuglés par sa plastique parfaite, ils ne voient en elle qu’une pin-up infiltrée dans un monde d’hommes. « Alors que si elle est sexy, c’est qu’elle a choisi de l’être, et non par soumission à une contrainte sociale ou patriarcale, rappelle Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode. C’est une femme libre. Dans son style, comme dans sa musique, il y a toujours détournement et mélange. Elle se réapproprie les codes du glamour – le décolleté, la mini – en les rendant trash, en les avilissant à la manière punk : tenues fétichistes, T-shirts agressifs… »

Même « grincement », selon Anna de Marnhac, dans sa coloration capillaire, son teint et son maquillage, qui contrastent avec la mode du bronzage « healthy » et de la bonne mine chers aux années 1980. « Fascinée par la personnalité de Marilyn, elle choisit de se teindre en blond platine, mais elle garde ses racines brunes, poursuit l’historienne. Ce qui, à l’époque, est une forme de contestation et une manière de montrer que sa couleur n’est naturelle, qu’elle est dans une réinvention de soi. Elle est l’inverse de la “jolie madame pimpante”, elle montre les imperfections, le rouge à lèvres qui bave, le mascara qui coule. Sa pâleur marmoréenne, subversive chez une Américaine, annonce déjà le gothique. Le maquillage ne sert pas à la rendre plus belle. Et on a du mal à la définir, car elle brouille tous les codes. Il y a chez Debbie Harry un côté caméléon qui sidère. » Elle est belle, et comme les 80’s l’y invitent elle s’adonne aux joies de l’expérimentation (bisexualité, alcool, drogues). N’hésitant pas à jouer avec cette beauté, voire à la corrompre ou à la travestir (coiffure lionne, make-up glam outrancier, presque drag-queen). Ou à la cacher derrière le masque glacial d’une inaccessible femme fatale, aussi rebutant que troublant. « Chez elle, on sent la mise en danger de soi, le flirt avec la mort, c’est une attitude très sexy et très rock’n’roll, assure Benjamin Simmenauer. En un mot, elle est sublime, mais semble n’en avoir rien à foutre. Elle est à la croisée de deux figures féminines : la star hollywoodienne et l’héroïne warholienne à la Nico, plus trash, plus provocatrice et plus ironique. Comme David Bowie, elle allie le glamour éternel d’une beauté classique, sculpturale, à l’avant-garde d’une androgynie rock. »
Intuition géniale d’un futur où toutes les stars de la pop se réinventeraient à chaque album pour faire vendre ? Ou authentique et profonde recherche d’identité ? On sait que Debbie Harry, enfant adoptée, n’a pas connu ses parents biologiques. Et une partie de sa fascination pour Marilyn Monroe, qui n’a pas connu son père, vient de là. « Il y a une photographie d’elle où elle ressemble vraiment à Marilyn, assise dans un fauteuil, pieds nus et vêtue d’un tutu de danseuse, commente Anne de Marnhac. La même vulnérabilité affleure, elle a le même regard d’enfant perdu dans le grand vide américain. »


DEBBIE HARRY
“J’AI RAME COMME UNE BETE POUR ETRE A LA MODE”

L’ICONE FASHION, QUI SE REVENDIQUE ARTISTE AVANT TOUT, SE REVELE AUSSI EN REINE DES ABEILLES AVEC CE NOUVEL ALBUM. EXPLICATIONS.

Les années ont passé et, pourtant, Debbie Harry, 71 ans, toujours flanquée de Chris Stein, son ancien compagnon et cofondateur de Blondie, garde la fière allure d’une New-Yorkaise rebelle et excentrique. A son cou, une abeille en or que la chanteuse green nous montre : 1. parce que la cause des abeilles, victimes des pesticides, lui tient à cœur ; 2. parce que le onzième album du groupe s’appelle « Pollinator » (BMG)* et que, aussi vibrionnant qu’une ruche, il contient des collaborations avec Sia, Johnny Mar des Smiths, Joan Jett ou Nick Valensi des Strokes.

ELLE. Où trouvez-vous l’énergie, après plus de quarante ans de carrière, pour ne pas être blasée ?
DEBBIE HARRY. C’est une mauvaise habitude que j’ai prise, c’est comme une addiction ! [Rires.] Et puis je suis consciente de ma chance. J’ai rencontré tellement de gens qui me disaient : « A 25 ans, j’étais dans un groupe, et puis j’ai arrêté. » Pour moi, rien n’a été facile, mais je me suis toujours accrochée.
ELLE. Comment avez-vous vécu votre exposition médiatique ?
D.H. Au début, quand on a commencé, on n’était pas les chou-chous de la presse. D’une certaine façon, cela nous a aidés. Ça m’a donné le goût de continuer, d’essayer d’être plus clairvoyante et de faire de meilleurs choix artistiques.
CHRIS STEIN. Ça doit être beaucoup plus dur maintenant. Quand tu mets un morceau sur YouTube, il y a toujours quelqu’un pour dire que c’est nul.
ELLE. Etre-vous toujours des rebelles ?
D.H. J’ai toujours les mêmes valeurs. Mais je pense surtout que je me bats pour survive, comme n’importe qui. Rien ne m’a été donné. Et, pour une artiste, c’est plutôt positif. Ça oblige à chercher des solutions, à mettre son cerveau en mouvement, à créer.
C.S. Les problèmes, c’est comme les puzzles. On n’en vient à bout qu’à force de persévérance.
ELLE. Debbie, comment réagissez-vous quand on vous considère comme une icône de mode ?
D.H. Je ne suis pas sûre d’en être une, même si je suis ravie qu’on me le dise ! J’ai toujours aimé les vêtements, mais, à vrai dire, j’ai ramé comme une bête pour être à la mode. Mon ami Stephen Sprouse, aujourd’hui décédé, m’a beaucoup aidée. Il y a plein d’autres femmes qui sont plus des icônes fashion que moi car le style est le centre de leur vie. Moi, ce qui m’intéresse avant tout, c’est d’être une artiste.
ELLE. Vous allez aux défilés ?
D.H. Je suis fan des collections de Jeremy Scott. Lors de la Fashion Week new-yorkaise, je suis allée au défilé Moschino. C’était tellement frais, plein d’énergie et d’humour… J’ai beaucoup de respect pour les créateurs de mode. ils ont une telle pression pour travailler, je ne sais pas comment ils font ! F.T.

*Sortie le 5 mai.
Blondie sera en concert à Paris, le 28 juin, à L’Olympia.

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